Ainsi donc, la justice a condamné Marine Le Pen à une peine de quatre ans de prison, dont deux ferme, à effectuer sous bracelet électronique.
Le Pen est aussi condamnée à une peine d’inéligibilité de 5 ans à exécution immédiate. Elle devra démissionner de son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais.
Quasiment immédiatement, les sponsors et soutiens de Le Pen, de Moscou à la Hongrie en passant par Ciotti qui a peur de ne jamais être ministre (ministre ou sinistre, il faut choisir) ont vitupéré et bramé au procès politique..
Même Sarkozy est triste car sa victimisation n'intéresse plus personne..
Bon mais en fait, pourquoi la mère Le Pen a été condamnée ?
Ok, il y a le détournement d'argent qui est prouvé: https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_assistants_parlementaires_du_Front_national_au_Parlement_europ%C3%A9en
Mais il y a aussi la manière dont Marine Le Pen a abordé son procès, par dessus la jambe, de manière hautaine, en croyant que tout lui était permis..
Or un procès, c'est comme un débat du 2ème tour de l'élection présidentielle ou une discussion technique..
Et à force de ne faire que de la comm .. (alors que déjà elle ne partait pas d'un gros niveau de travail et de rigueur), Marine le Pen n'a pas préparé son procès avec le sérieux qu'il fallait..
Résultat: elle s'est enferrée dans ses réponses, n'a apporté aucun élément factuel pour contredire les éléments de l'accusation (qui eux étaient factuels et documentés).
Rappelons le "Je crois que Marine sait tout cela" de W de St-Just (https://www.midilibre.fr/2024/11/05/marine-sait-tout-ca-au-proces-des-assistants-parlementaires-du-rn-marine-le-pen-de-retour-a-la-barre-12305348.php ) ou la défense nulle de Bruno Gollnisch ( https://www.laprovence.com/article/france-monde/1228370978649315/au-proces-du-rn-la-defense-decalee-de-bruno-gollnisch )
Dire "ce n'est pas moi" ou "on veut ma mort politique" comme un Sarkozy ou un Fillon ne donne rien du tout..
Résultat logique: Le Pen a été condamnée et tous ses sbires, qui eux non plus n'avaient rien préparé, aussi..
A noter que Bardella, qui aurait pu être jugé et condamné, s'en tire, pour l'instant, les c.. nettes .. pour une histoire de prescription... https://www.bfmtv.com/politique/assistants-parlementaires-du-rn-jordan-bardella-vise-par-une-plainte_AD-202503270032.html
Pour l'explication complète de la décision des juges: https://www.sudouest.fr/politique/marine-le-pen/marine-le-pen-condamnee-et-ineligible-ce-que-les-juges-lui-reprochent-et-comment-ils-ont-raisonne-23856343.php
et surtout, via Le Monde, les attendus, que voici, qui expliquent bien les raisons de la condamnation de Le Pen et de la fameuse exécution provisoire .. Le Pen n'a qu'à s'en prendre à son système de défense (d'autant plus qu'en 2023, elle a déjà été condamnée et a remboursée près de 300000 euros).
C’est par un délibéré de 152 pages que le tribunal de Paris a argumenté sa décision dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national, devenu Rassemblement national (RN) en 2018. En voici les principaux attendus.]
(…)
Les faits de détournement de fonds publics et de recel de ce délit reprochés aux députés et aux assistants parlementaires
Neuf députés européens, Fernand Le Rachinel, Bruno Gollnisch, Marine Le Pen, Louis Aliot, Marie-Christine Arnautu, Mylène Troszczynski, Dominique Pierron épouse Bilde, Nicolas Bay et Marie Christine Boutonnet sont poursuivis pour détournement de fonds publics, infraction prévue à l’article 432-15 du code pénal. Douze assistants parlementaires, Thierry Légier, Micheline Bruna, Guillaume L’Huillier, Yann Maréchal, Catherine Griset, Gérald Gérin, Jeanne Pavard, Julien Odoul, Loup Viallet, Timothée Houssin, Charles-Henri Hourcade et Laurent Salles sont poursuivis pour recel de détournement de fonds publics. (…)
Ainsi, les députés européens, dont il n’est pas contesté qu’ils ont une activité politique qui n’est évidemment ni l’objet ni le fondement de la poursuite, sont soumis à la loi pénale, comme tous les citoyens.
Si les contrats litigieux sont conclus dans le cadre réglementaire concernant les frais et indemnités des députés au Parlement européen, pour caractériser l’éventuel détournement de fonds publics reproché, il appartient au tribunal d’apprécier l’existence ou l’absence d’un travail accompli par les assistants parlementaires en exécution de leur contrat de travail les liant au député européen. Il s’agira ainsi de vérifier notamment si les députés poursuivis ont payé à leurs assistants respectifs des rémunérations au moyen de fonds européens, en se gardant de leur confier un quelconque travail en lien avec leur mandat, ou en leur demandant un tel travail dont la ténuité confine à l’inexistant.
Pour fonder sa conviction sur la réalité du travail exécuté par un assistant parlementaire, le tribunal ne se détermine pas qu’au regard de l’absence d’élément justificatif présenté par le député européen poursuivi. En effet, un temps long s’est écoulé depuis la fin de ces contrats jusqu’à la mise en cause des députés au cours des investigations. Cette distance temporelle, pouvant excéder dix années pour certains d’eux, ne peut que rendre difficile l’administration de justificatifs de la réalité du travail exécuté par leurs assistants parlementaires le cas échéant. Le tribunal se fondera donc sur un faisceau d’éléments pour apprécier si les contrats d’assistance parlementaire en cause ont été ou non exécutés. (… )
Pour chacun des contrats, le tribunal a analysé, au-delà de l’absence de justificatif d’une activité en lien avec le mandat du député, l’existence ou non d’un lien hiérarchique et le faisceau d’éléments permettant de conclure à l’existence ou non de tâche en lien avec le mandat du député. Les fonctions exercées par l’assistant parlementaire au sein du FN ou sous l’autorité hiérarchique d’une personne qui n’est pas son député sont un élément important de ce faisceau d’éléments. Elles n’entretiennent a priori aucun rapport avec l’assistance nécessaire et liée au mandat européen.
Le tribunal est entré en voie de condamnation pour l’ensemble des contrats au titre desquels les députés et les assistants parlementaires étaient renvoyés devant le tribunal.
Ces contrats représentent environ 2,9 millions d’euros (hors contrats de Jean-Marie Le Pen) correspondant aux salaires et charges payées à des assistants parlementaires sous couvert de contrats fictifs permettant de faire prendre en charge par le Parlement européen des personnes qui travaillaient en réalité pour le parti Front national devenu Rassemblement national. (… )
Il a été établi que tous ces contrats ne répondaient à aucun besoin d’assistance parlementaire du député et étaient dépourvus d’un objet réel. Ces assistants n’avaient pas assisté le député dans l’exercice de son mandat de député européen et travaillaient en réalité pour le parti. Soit le député ne leur avait confié aucune tâche (…), soit ils travaillaient pour le parti (Yann [Maréchal] Le Pen par exemple) ou comme assistante parlementaire accréditée censée travailler et résider à Bruxelles alors qu’elle était à plein temps la secrétaire de Marine Le Pen (Catherine Griset). Ce sont bien des contrats fictifs.
Il ne s’agissait pas d’erreurs administratives ou d’incompréhension par les députés de règles européennes confuses, mais de détournements dans le cadre d’un système mis en place pour alléger les charges du parti.
Sur l’existence d’un système
(…) Les déclarations de culpabilité intervenues à ce titre concernent neuf députés, douze assistants parlementaires et représentent environ 2,9 millions d’euros de fonds détournés au profit du parti entre le 1ᵉʳ novembre 2004 et le 17 janvier 2016, soit pendant plus de onze ans, au cours de trois législatures. Ces faits ont pris fin, au cours de la 8ᵉ législature, près d’un an après que le président du Parlement européen les eut dénoncés aux autorités judiciaires françaises. (…)
Ainsi, à l’été 2014, alors que 23 députés du Rassemblement national étaient élus au Parlement européen, le système était destiné à constituer une véritable manne financière pour le parti. Avec 23 députés élus, les frais d’assistance parlementaire représentaient en effet désormais plus de 6,5 millions d’euros par an, soit environ le double de la masse salariale du RN à l’époque, de l’ordre de 3 millions d’euros sur un budget de 10,2 millions d’euros. (…) Le système élaboré mis en place n’a trouvé de limite que dans la dénonciation des faits et l’ouverture de la présente procédure judiciaire. (…)
L’échange de courriels du 22 juin 2014 entre [le député] Jean-Luc Schaffhauser et [le trésorier] Wallerand de Saint-Just, dont l’objet est intitulé « règlement du parlement » ne laisse aucun doute sur la compréhension qu’ont pu avoir les députés de ce qui leur était demandé. A l’issue de la réunion du 4 juin [2014], Jean-Luc Schaffhauser écrivait en effet au trésorier du parti, qui se trouvait par ailleurs être alors avocat de profession : « Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs… et c’est le député qui est responsable pénalement sur ses deniers même si le parti qui en est le bénéficiaire… Je comprends les raisons de Marine mais on va se faire allumer car on regardera, c’est sûr, nos utilisations à la loupe avec un groupe si important. Je n’ai pas prévenu les autres du cadre légal car je créerai encore plus de bordel. » La réponse de Wallerand de Saint-Just, malgré ses dénégations, est particulièrement claire aussi : « Je crois bien que Marine sait tout cela… »
Ainsi l’existence d’un système mis en place pour rémunérer sous couvert de contrats fictifs d’assistant parlementaire des personnes qui travaillent en réalité pour le parti ou pour ses dirigeants, ne fait, selon le tribunal, pas de doute. (…) Il s’agit bien de pratiques organisées pour atteindre un but, en l’espèce la prise en charge par le Parlement européen de personnes travaillant en réalité pour le parti en vue de permettre au Front national de « faire des économies importantes ».
Très éloignées de la mutualisation alléguée du travail des assistants parlementaires, ces pratiques s’inscrivent dans le cadre d’une gestion mutualisée, centralisée, et optimisée des enveloppes des députés, destinée à assurer la consommation intégrale du budget de la dotation allouée à chaque député pour ses frais d’assistance parlementaire. (…)
1. Un véritable système mis en place puis perfectionné pour alléger les charges de personnel du parti
Si la défense a rejeté la notion de système, elle apparaît néanmoins établie et même au cœur de la présente affaire. (…)
a) La 6ᵉ législature (2004-2009) : un système artisanal et familial mis en place dès 2004 par Jean-Marie Le Pen (4 députés, près de 1,5 million d’euros de fonds publics détournés) (…)
b) La 7ᵉ législature (juillet 2009 à juillet 2014) : un système qui perdure (3 députés élus – plus de 2,2 millions d’euros de fonds détournés) et gagne en intensité (…)
c) La 8ᵉ législature : des détournements auxquels l’enquête de l’OLAF [Office européen de lutte antifraude] a manifestement porté un coup d’arrêt (670 K€ [milliers d’euros] pour 10 députés) mais une manne financière de plus de 6,5 millions d’euros par an (23 députés) destinée en partie à contribuer de façon de plus en plus significative au financement des charges de personnel du parti. (…)
Les rôles respectifs
Au cœur de ce système depuis 2009, Marine Le Pen s’est inscrite avec autorité et détermination dans le fonctionnement instauré par son père auquel elle participait depuis 2004. (…) Les mouvements entre les enveloppes et les transferts de contrats vont se multiplier. Le but est de répartir les assistants selon les disponibilités des enveloppes, sans aucun lien avec une quelconque activité pour un eurodéputé. Marine Le Pen a été poursuivie et déclarée coupable en tant qu’auteur principal pour les contrats d’assistant parlementaire fictifs représentant un montant total de 474 K€. (…)
Elle est en outre déclarée coupable de faits de complicité des détournements commis par les autres eurodéputés depuis son accession à la présidence du parti en janvier 2011. Ces faits de complicité portent sur un montant total que le tribunal évalue à 801 K€ au titre de la complicité de Jean-Marie Le Pen, à 665 K€ au titre de la complicité de Bruno Gollnisch et à 370 K€ au titre de la complicité des sept nouveaux députés de la 8ᵉ législature, soit au total plus de 1,8 million d’euros sur la période du 16 janvier 2011 au 17 janvier 2016.
Le trouble causé par l’infraction : au-delà des manquements à l’exigence de probité des élus, un contournement du fonctionnement démocratique
S’ils n’ont pas généré d’enrichissement personnel direct des députés condamnés ni de leurs assistants parlementaires, les faits constituent, au-delà des manquements à l’exigence de probité des élus, un contournement démocratique qui réside dans une double tromperie, aux dépens du Parlement européen et des électeurs. (…)
En outrepassant le cadre ainsi posé par le législateur, les auteurs, complices et receleurs de détournements de fonds publics, qui ont procuré un enrichissement au Front national ont provoqué une rupture d’égalité, favorisant ainsi leurs candidats et leur parti politique, au détriment des autres.
S’agissant du Parlement européen, sa légitime confiance en ses élus a été abusée par des moyens sophistiqués de détournements à des fins partisanes des fonds payés pour renforcer la qualité du débat démocratique. (…) S’agissant du corps électoral, les manquements commis par les députés européens portent fortement atteinte à la confiance légitime qu’ils doivent inspirer aux citoyens de l’Union européenne en général et aux électeurs français en particulier. (…) Ainsi, ces faits ont porté une atteinte grave et durable aux règles du jeu démocratique, européen mais surtout français et à la transparence de la vie publique.
L’atteinte aux intérêts de l’Union européenne revêt une gravité particulière dans la mesure où elle est portée, non sans un certain cynisme mais avec détermination, par un parti politique qui revendique son opposition aux institutions européennes.
La gravité des faits dans leur ensemble résulte donc de leur nature systématique, de leur durée, du montant des fonds publics détournés au bénéfice d’un parti politique, mais aussi de la qualité d’élus des personnes condamnées comme auteurs de ces détournements, ainsi que de l’atteinte portée à la confiance publique et aux règles du jeu démocratique. (…)
La question de la peine complémentaire d’inéligibilité prévue par la loi
(…) La question de la peine complémentaire d’inéligibilité est distincte de celle de l’exécution provisoire dont elle peut être assortie. (…) Il s’agit donc d’une possibilité pour le tribunal de prononcer notamment, à titre complémentaire l’interdiction des droits civils, civiques et de famille, suivant les modalités prévues par l’article, qui porte notamment sur le droit de vote et l’éligibilité. Elle ne peut excéder une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit. (…)
Cette peine d’inéligibilité, qu’elle soit obligatoire avec possibilité de réserve ou facultative, constitue, en cas de violation de la loi pénale, une limite prévue par le législateur au pouvoir d’élection du peuple, qui se voit, comme soulevé à juste titre par la défense, restreint dans le choix de son représentant. Elle a néanmoins particulièrement vocation à être prononcée à l’encontre d’élus déclarés coupables d’atteintes à la probité et ne porte pas atteinte à la séparation des pouvoirs. (…)
La question de l’exécution provisoire
(…) Les personnes prévenues ont pu présenter leurs moyens de défense et faire valoir leur situation. Le conseil de Marine Le Pen a notamment soutenu oralement à l’audience que l’exécution provisoire priverait cette dernière d’un recours effectif au double degré de juridiction [l’appel] et violerait la présomption d’innocence. Il précisait : « C’est irréparable. Il n’y a aucun recours possible. La peine est définitive. » Il ajoutait : « C’est une violation du principe d’égalité devant la justice et du droit d’accès au juge. Ce serait vexatoire, gratuit, en jetant un doute sur les intentions mêmes de l’institution judiciaire. » Selon la défense, « ni l’ancienneté des faits ni le risque de récidive ne justifieraient une telle mesure. La seule récidive, ce serait qu’elle concoure à la présidentielle ? Je propose qu’on laisse le peuple souverain s’en charger, pas la justice. Cette sévérité des réquisitions étonne. Le parquet a invoqué un assainissement de la vie politique ? C’est plutôt une éradication pure et simple. »
(…) Le tribunal ne méconnaît pas les conséquences qu’une peine complémentaire assortie de l’exécution provisoire revêtirait dans la présente affaire, certaines personnes condamnées étant précisément des élus, et particulièrement en ce qui concerne Marine Le Pen qui fut candidate au 2ᵉ tour des deux dernières élections présidentielles, et a annoncé qu’elle serait à nouveau candidate aux prochaines élections présidentielles prévues en France en 2027. D’autres personnes déclarées coupables dans le cadre de la présente affaire ont des mandats de députés nationaux (Julien Odoul et Timothée Houssin) ou au Parlement européen (Nicolas Bay, Catherine Griset), voire des mandats locaux (Louis Aliot) dont ils devraient, s’agissant de ces derniers, en l’état de la législation actuelle, être déclarés immédiatement démissionnaires en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité qui serait assortie de l’exécution provisoire.
Cette question d’assortir ou non les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire se pose donc de façon singulière dans une décision pénale rendue au nom du peuple français, c’est-à-dire au nom des citoyens français dans leur ensemble et non d’une partie des électeurs. Le tribunal ne doit, ni ne peut non plus en la matière, quand il s’agit d’interpréter la loi, ignorer l’exigence de recherche d’un consensus social (qui ne peut se confondre avec le consensus d’une classe, quand bien même s’agirait-il de la classe politique par exemple).
Il convient de rappeler que l’égalité devant la loi est l’un des piliers de la démocratie. En cas de violation de la loi pénale, les élus ne bénéficient d’aucune immunité. Le législateur, s’étant exprimé par la voix des représentants du peuple souverain, a même prévu qu’en cas de détournement de fonds publics, les responsables publics encouraient notamment la peine maximale prévue en matière délictuelle de dix ans d’emprisonnement ainsi que, à titre de peine complémentaire, une peine d’inéligibilité qui peut être fixée aussi pour une durée de dix ans.
Dès lors la proposition de la défense de laisser le peuple souverain décider d’une hypothétique sanction dans les urnes revient à revendiquer un privilège ou une immunité qui découlerait du statut d’élu ou de candidat, en violation du principe d’égalité devant la loi. Ce moyen de la défense, s’il devait concerner le fait de prononcer une peine d’inéligibilité ou inviter à ne pas se poser la question de l’exécution provisoire, est donc inopérant. (…)
Le risque de récidive au regard du système de défense : au-delà de l’absence de reconnaissance des faits, l’impunité revendiquée
Il convient de relever que, dix ans après la dénonciation des faits, toutes les personnes condamnées contestent les faits, ce qui est évidemment leur droit. Elles n’ont dès lors exprimé aucune prise de conscience de la violation de la loi qu’elles ont commise ni a fortiori de l’exigence particulière de probité et d’exemplarité qui s’attache aux élus.
Dans le cadre d’une information judiciaire contradictoire qui a duré sept ans, de très nombreux recours ont été exercés, comme le permettent les règles de procédure pénale. Ils ont fait l’objet de décisions de rejet par les juges d’instruction, dans leur quasi-totalité, soumises à la chambre de l’instruction et confirmées par elle. Lorsque des pourvois ont été formés devant la Cour de cassation, ils ont été rejetés. (…)
Néanmoins, dans le cadre du procès, les moyens de défense soulevés tendaient encore, notamment avant tout débat au fond, à contester que la loi pénale puisse s’appliquer aux faits ou aux personnes poursuivis dans le cadre de la présente procédure (…) La défense revendiquait une impunité totale et absolue reposant sur le fait que les assistants parlementaires auraient effectué un travail politique, non détachable du mandat de leur député, au profit d’un parti politique. (…)
a) Une impunité revendiquée de façon continue depuis l’origine de la procédure, au mépris de la loi et des décisions de justice y compris celles de la Cour de cassation (…)
Ce système de défense constitue, selon le tribunal, une construction théorique qui méprise les règles du Parlement européen, les lois de la République et les décisions de justice rendues notamment au cours de la présente information judiciaire, en ne s’attachant qu’à ses propres principes. Il révèle de la part de personnes condamnées qui ont pour les principales une formation de juriste ou d’avocat, une conception peu démocratique de l’exercice politique ainsi que des exigences et responsabilités qui s’y attachent.
b) Un système de défense au mépris de la manifestation de la vérité
Dès les premiers jours du procès, la défense a également manifesté son refus du débat contradictoire, sollicitant par voie de conclusions d’incident le renvoi de la procédure. (…) Au-delà de la volonté d’éviter ou de retarder le débat sur les faits qui leur étaient reprochés, les prévenus ont tenté de s’écarter du débat au fond. Ils n’ont pour la plupart manifesté aucune volonté de participer à la manifestation de la vérité, avec laquelle ils ont pour certains un rapport très distendu, niant parfois jusqu’aux évidences, y compris leurs propres écrits de l’époque. (…)Au mépris des faits, ces déclarations relèvent d’une conception à tout le moins narrative de la vérité. Ainsi, dans le cadre de ce système de défense d’un parti autant que de ses dirigeants, qui tend à contester la compétence matérielle du tribunal autant que les faits, dans une conception narrative de la vérité, le risque de récidive est objectivement caractérisé. (…)
Outre les critères de gravité qui président au prononcé des peines d’inéligibilité pour certains prévenus, il convient de rappeler que l’existence de mandats en cours, de même que les prétentions à briguer de tels mandats sont de nature à laisser persister un risque d’utilisation frauduleuse des deniers publics que les intéressés seraient amenés à percevoir, détenir, octroyer ou utiliser dans le cadre desdits mandats, ce que seule l’exécution provisoire permet de prévenir. (…)
C’est dans ce contexte que se pose la question de la délicate conciliation entre le droit à un double degré de juridiction [un appel, donc] et une éventuelle exécution provisoire de cette peine d’inéligibilité. La véritable question n’est pas celle de l’absence de recours mais plus précisément celle de l’absence d’effet suspensif du recours en cas d’exécution provisoire. Les personnes condamnées à une peine d’inéligibilité ont en effet bien entendu le droit d’interjeter appel du présent jugement. Néanmoins si le tribunal ordonne l’exécution provisoire de ces peines d’inéligibilité, ces dernières seraient effectives par provision, c’est-à-dire immédiatement, avant la décision de la cour d’appel susceptible d’intervenir un à deux ans plus tard, et avant le cas échéant celle de la Cour de cassation. (…)
Le tribunal prend en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public démocratique qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat, par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue, une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité, pour des faits de détournements de fonds publics et pourrait l’être par la suite définitivement.
Il s’agit ainsi pour le tribunal de veiller à ce que les élus, comme tout justiciable, ne bénéficient pas d’un régime de faveur, incompatible avec la confiance recherchée par les citoyens dans la vie politique. Dès lors, dans le contexte décrit, eu égard à l’importance de ce trouble irréparable, le droit au recours n’étant pas un droit acquis à la lenteur de la justice, il apparaît nécessaire selon le tribunal, à titre conservatoire, d’assortir les peines d’inéligibilité prononcées de l’exécution provisoire. (…)
Dans le cadre d’une décision rendue au nom du peuple français dans son ensemble, cette mesure est en effet proportionnée aux objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice. C’est au regard de ces considérations que le tribunal apprécie, pour chaque personne condamnée, en tenant compte de sa situation individuelle, le caractère nécessaire et proportionné d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire.
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